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Haïti - Social : Inquiet et déçu, Michel Forst achève sa mission en Haïti 01/12/2012 10:04:10 « [...] l’objectif principal de cette mission, était d’examiner la mise en œuvre de certaines des recommandations formulées dans le dernier rapport que j’ai présenté en juin dernier devant les Nations Unies. [...] Je suis de retour en Haïti depuis près d’une semaine et les principales observations que j’ai pu faire lors de cette 11e mission portent en partie sur le fonctionnement de la justice, de la police, du système pénitentiaire et de l’accès aux droits économiques et sociaux. [...] Si la dernière fois j’avais exprimé ma satisfaction de voir engagées les principales reformes attendues dans le domaine de l’état de droit, mon diagnostic aujourd’hui est pour le moins contrasté, pour ne pas dire mitigé. Certes, sur le plan formel des avancées ont été constatées, je pense à la nomination des membres de la Cour de cassation et du CSPJ [Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire], sur lequel j’avais fondé beaucoup d’espoir. Mais je suis inquiet de voir que, dans la pratique, notamment dans le domaine de la réforme de la justice, la situation semble maintenant bloquée. Et je ne peux que redire ma profonde déception de voir le mouvement amorcé par le vote des 3 lois sur la réforme de la justice rester lettre morte, comme si l’indépendance de la magistrature ne représentait pas l’un des enjeux majeurs pour la mise en œuvre de l’état de droit. [...] je fondais beaucoup d’espoirs dans la mise en place du CSPJ pour régler une fois pour toutes la question de la nomination et de l’évolution de la carrière des magistrats et, même si la décision finale appartient au Ministre de la justice, on peut espérer qu’il suivra les recommandations du CSPJ. [...] Je suis inquiet de voir que continuent les pratiques de nomination ou de révocation de magistrats à des fins partisanes ou politiques, qui avaient été régulièrement dénoncées par les observateurs ou par la Société Civile. [...] Je suis aussi inquiet de voir que continuent des actes d’arrestations ou de détentions illégales ou arbitraires. Plusieurs cas m’ont été signalés et ces cas sont connus et dénoncés par les organisations de la Société Civile ou par l’OPC [Office de Protection du Citoyen] [...] Il n’est pas concevable que dans un État de Droit, les responsables de l’application des lois se sentent autorisés à ne pas respecter la loi. Il n’est pas normal que de tels comportements restent sans réaction de l’institution judiciaire. C’est un signal de plus envoyé du désordre de l’institution judiciaire, dès lors que règne l’impunité. [...] Dans le domaine pénitentiaire, la situation ne s’est pas véritablement améliorée, il y a actuellement 8.860 personnes dans les 17 établissements pénitentiaires du pays. Et la place allouée aux détenus et prévenus est de 0.6 m2 en moyenne, et de seulement 0.33 m2 à la prison de Anse à Vaux. Cela ne leur permet pas de s’allonger pour dormir, et, malgré les efforts de la communauté internationale et du CICR [Comité international de la Croix-Rouge] à qui je souhaite rendre un hommage particulier, la prison reste toujours un lieu cruel, inhumain et dégradant. Je rappelle une fois encore que la prison ne devrait pas être un lieu de souffrance, mais un lieu de privation de liberté dans lequel l’ensemble des autres droits doivent être garantis, à l’exception bien entendu de la liberté d’aller et de venir. Cette semaine, j’ai visité la prison de la Croix des Bouquets, qui constitue une évidente perspective d’amélioration, mais cette construction en elle seule ne peut constituer une réponse satisfaisante au regard des besoins immenses que connaît le pays. Cet établissement est bien construit, bien conçu, mais, au moment où l’on vient de procéder à son inauguration, force est de constater que si des efforts particuliers ne sont pas consentis pour assurer son fonctionnement, tous les espoirs qui avaient été mis dans cet établissement risquent d’être réduits à néant, faute de financement adéquat. Je pense notamment à la dotation en personnel et en budget qui ne permet pas à l’heure actuelle à l’établissement de fonctionner selon les normes qui avaient été fixées. [...] Tout le monde sait que si les prisons sont surpeuplées, c’est d’abord à cause de la détention préventive prolongée. Les taux de détention préventive qui m’ont été indiqués dans les différentes juridictions ne varient pas beaucoup, malgré le travail des Commissions qui siègent et libèrent des prévenus sans dossiers, ou qui ont purgé leur peine. [...] Je l’ai redit dans mes rencontres, le traitement de la détention prolongée appelle d’abord une réponse plus forte en matière de lutte contre la corruption dans l’appareil judiciaire. Il faut une meilleure gestion du temps des magistrats du siège et du parquet, une utilisation beaucoup plus active de toutes les dispositions du code d’instruction criminel, y compris le recours à l’habeas corpus, une refonte du code pénal qui introduise des dispositions nouvelles comme la comparution immédiate et des peines alternatives à la détention comme le rappel à la loi ou les travaux d’intérêt général. Dans certains cas emblématiques, Haïti à démontré que la justice peut agir très rapidement quand elle le veut, comme dans le cas Brandt. Cette célérité devrait s’appliquer à tous les cas, ce qui éviterait la détention préventive prolongée. Dans le domaine de la police, bien que l’institution soit en cours de réforme depuis des années, il subsiste des inquiétudes fortes [...] Les rapports hebdomadaires de la section des droits de l’homme de la Minustah rapportent chaque semaine des récits d’arrestations illégales et arbitraires par la police, de détention préventive prolongée dans certains commissariats ou postes de police, de refus de délivrance de certificats médicaux en cas de viol, de harcèlement policier et de cas de mauvais traitements ou de brutalité policière. La compilation de tous ces rapports montre qu’il ne s’agit pas là de faits anecdotiques, mais que dans l’ensemble du pays, il persiste un climat délétère que la nouvelle Inspection Générale de la Police Nationale Haïtienne devra traiter. [...] J’ai redit également à mes interlocuteurs, le Ministre de la justice et le Premier ministre, ma satisfaction que l’inspection générale de la police ait été soutenue, que les 6 inspecteurs généraux aient été nommés. Mais dans le même temps j’ai redit ma stupéfaction et mon incompréhension devant le fait que l’inspection générale de la police reste encore placée sous l’autorité hiérarchique du Directeur Général de la police nationale haïtienne. Il faut mettre fin à ce désordre administratif. Comment l’inspecteur général de la police peut-il être placé sous l’autorité hiérarchique de celui qui sera peut-être appelé à inspecter ? L’inspection générale de la police doit impérativement être rattachée et se rapporter directement au Ministre de la justice et de la sécurité publique ; il en va de la crédibilité de l’institution policière. Depuis le mois de février 1993, soit depuis plus de 20 ans, la population d’Haïti vit sous la protection internationale des Nations Unies et cette protection s’est progressivement étendue à de nombreux domaines, du fait de la série de catastrophes que le pays a connues. Chacun comprend que cette situation ne pourra perdurer, mais qu’en même temps un certain nombre de conditions doivent être remplies pour permettre progressivement le transfert de la protection internationale aux autorités d’Haïti, ce qui est indiqué dans « le plan de transition » évoqué dans la résolution 2012/743 du Conseil de sécurité. Pour assurer cette protection, j’ai proposé au Premier ministre un mécanisme composé de 4 piliers :
Dans le domaine des droits économiques et sociaux, chacun comprend, que ce dont le pays a le plus besoin, c’est de créer des emplois, pour permettre à chacun de vivre décemment et d’avoir accès aux services de base. Le développement économique est intimement lié au respect des droits et le respect des droits de l’homme est un des facteurs de la stabilité dont ont besoin les entreprises pour sécuriser leurs investissements. Et on sait que les entreprises gagnantes seront celles, qui auront su intégrer d’autres paramètres, notamment celui des Droits de l’Homme, dans leurs stratégies d’investissement ou de développement. Pour terminer, j’ai été interrogé et je le serai sans doute également, sur le processus électoral à venir et sur la mise en place du Conseil Électoral Permanent. Bien entendu, en tant qu’Expert Indépendant sur la situation des Droits de l’Homme en Haïti, il ne m’appartient pas publiquement de commenter les décisions, qui seront prises en la matière ou un éventuel accord politique. C’est aux acteurs politiques haïtiens d’en décider, mais mon rôle consiste à rappeler que la seule légalité, qui doit prévaloir, c’est le respect des dispositions de la Constitution de 1987 amendée, dont j’espère que la version en créole verra bientôt le jour. Et je me réjouis de constater que tout cela dénote une véritable aspiration à faire pleinement jouer les rouages de la démocratie et je ne peux que saluer la volonté des Haïtiennes et des Haïtiens de s’exprimer en désignant eux-mêmes leurs élus. » Par ailleurs, ce même vendredi, le Premier Ministre, Laurent Lamothe a eu une importante rencontre, à la Primature, avec Michel Forst. Cette réunion a été l’occasion pour le Chef du Gouvernement d’aborder différents thèmes importants liés aux efforts déployés par l’Administration Martelly-Lamothe pour garantir l’État de Droit en Haïti :
L'Expert indépendant des Nations Unies a profité de l’occasion pour proposer aux autorités haïtiennes de ratifier le Statut de Rome, un ensemble de règlements portant sur le fonctionnement du Tribunal Pénal International (TPI). Lire aussi : https://www.haitilibre.com/article-7229-haiti-social-11e-mission-de-michel-forst-en-haiti.html HL/ HaïtiLibre
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