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Haïti - Politique : Intervention de la Ministre déléguée Rose Anne Auguste, aux Nations Unies 06/05/2014 12:49:01 Intervention de la Ministre Auguste : « Je remercie le Président de l’assemblée d'avoir invité le gouvernement d'Haïti à participer à ce débat sur l’importance de la culture comme vecteur du développement durable. Le gouvernement haïtien considère comme un réel privilège le fait de pouvoir apporter sa contribution à la recherche de solution pour l’adoption généralisée d’un modèle de développement durable. Devant les résultats mitigés des tentatives réalisées jusqu’ici pour ce faire, il s’est révélé que l’absence de la dimension culturelle dans ces tentatives en était l’une des principales causes. La culture s’avère être en effet un élément sine qua non de tout processus de développement. Elle est fondamentale. On conviendra que le développement est un processus collectif. Vouloir développer une société divisée, secouée par de fortes tensions sociales, sans tenir compte et sans se servir de son profil culturel et linguistique, est un exercice futile, un gaspillage voué à l’échec. Voilà pourquoi tout projet de développement doit d’abord être un projet culturel et social. La culture est donc non seulement le catalyseur et le moteur du développement durable, mais elle en est surtout un passage obligé. C’est par la culture et la langue que les gens se découvrent des affinités, une identité commune, des rêves communs. C’est de leur culture que les sociétés puisent l’énergie de lutter ensemble pour vaincre leurs différends, réaliser la cohésion sociale indispensable à la concrétisation de ces rêves communs. La culture c’est l’âme d’un peuple, son souffle de vie, et la langue c’est l’outil fondamental pour l’expression de cette culture. A son dernier souffle, on dit de l’homme qu’il a rendu l’esprit. Il est mort. C’est tout aussi vrai pour un peuple privé de sa culture ou un peuple dont la langue est jugulée. C’est un peuple mort. Un peuple mort ne peut pas se développer, quel que soit le montant d’aide qu’on peut lui accorder. Aussi, loin des pratiques consistant à réduire la culture aux loisirs, donc à la considérer comme accessoire, à la reléguer au second plan, un gouvernement ne saurait jamais accorder trop d’importance aux dimensions culturelles et linguistiques d’un peuple. Le budget consacré à leur promotion et à leur développement ne saurait jamais être trop important, car la culture et la langue conditionnent ce que toutes les sociétés s’entendent pour considérer comme primordial et sacré : le développement économique. Dans un processus de développement durable, la culture remplit trois rôles essentiels.
Il convient de signaler la nature transversale de la culture, de la langue et de l’art qui leur confère une puissance inouïe en matière de développement social, culturel et économique. La culture et les arts valorisent ceux qui s’y adonnent ou qui évoluent dans un milieu où ils fleurissent. Ils ont un lien direct avec l’éducation, le niveau de vie et le respect des valeurs fondamentales et de l’environnement. Haïti possède donc tous les atouts en misant sur sa richesse culturelle, linguistique et historique pour vaincre l’extrême pauvreté, faire l’expérience d’un développement durable réussi et atteindre l’objectif que s’est fixé le gouvernement de faire partie des pays émergents à l’horizon 2030. Haïti est trop riche pour être pauvre, répète toujours le président Martelly. En effet, Haïti est un carrefour de création constante. On retrouve les plus beaux tableaux picturaux dans ses bidonvilles. Au cœur des affres de la misère de ses quartiers précaires, on retrouve les plus grands peintres et sculpteurs, dans les ghettos de Port-au-Prince, d'excellents artisans de récupération brillent de mille feux. Impossible de ne pas mentionner les sculpteurs de la Grand-rue ou ces génies du fer découpé du village de Noailles. Qu’on s’imagine un peu, avec un encadrement adéquat, le rayonnement culturel que ces artistes donneraient à Haïti sur le plan mondial et les retombées économiques que la vente de leurs œuvres engendrerait pour le pays ! La puissance des mots résonne un peu partout à travers le monde pour témoigner de la force de notre littérature et les rythmes de la musique haïtienne font vibrer la majorité des peuples de la planète. N'est-ce donc pas un pays magique bourré de potentialités et de richesses ? Je suis en train cependant de me livrer à un exercice impossible. Comment traduire en paroles la magie d’une œuvre artistique ? Comment communiquer l’émotion que provoquent un tableau, une musique ? À défaut d’assister à un des ateliers organisés pour les jeunes de Carrefour-feuilles, un quartier précaire à Port-au-Prince, par le groupe rap montréalais Nomadic Massive, il vous faudrait au moins visionner un ensemble de documentaire sur cette expérience. Vous saisiriez alors toute l’énergie positive qui se dégage de ces rencontres, de ces communions, devrais-je dire, où l’on s’exprime, on se libère, on se crée, on se réinvente et on s’affirme, vous comprendriez aussi l’extraordinaire puissance de l’art propre à réaliser des miracles sur le plan social et économique dans une société, dans un pays. Richesse, d’abord en terme de capacité pour l’artiste d’assurer la satisfaction de ses besoins d’ordre matériel, mais aussi et surtout en terme de bonheur ressenti par le simple fait d’exercer une activité qui le passionne, de donner du bonheur à un auditoire qui partage sa passion. Je ne saurais non plus passer sous silence Kalfou Richès (Carrefour Richesse), programme pensé en vue de sortir de la pauvreté extrême les peintres des quartiers précaires des principales villes du pays qui souffrent dans le dénuement le plus total alors qu’ils débordent de talents. Le projet consiste à les encadrer, à les encourager, à leur donner une formation en technique de peinture et en gestion afin qu’ils puissent s’améliorer et se faire connaître du public. Plusieurs expositions ont été réalisées tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays et ils ont été reçus à plusieurs événements d’importance. Déjà, ce ne sont plus des inconnus et des marginalisés. Au-delà des résultats économiques du programme, en deux ans plusieurs d’entre eux ont pu sortir de la pauvreté, la réussite de ce programme réside surtout en l’espoir qu’il a généré au cœur des artistes participants, même ceux qui n’ont pas participé aux programmes. Ils savent désormais qu’ils sont riches de talents, riches d’amour, riches de possibilités. Et cette richesse s’exprime à travers leur langage, leur attitude, leur assurance, leur foi en de meilleurs lendemains pour eux et pour le peuple haïtien tout entier. Ce projet aura su vraiment dynamiser dans les quartiers précaires le secteur de la peinture ainsi que ceux de tous les arts d’une façon générale. Je m’en voudrais de ne pas souligner pour vous ce que j’ai surtout retenu du concours de peinture murale pour propager un message de paix, organisé à la suite de la mort de Nelson Mandela et auquel participaient les peintres de 11 quartiers précaires de Port-au-Prince. Ils peignaient bien sûr pour remporter le Prix, mais ce qui les motivait surtout, c’était le désir de projeter une image positive de leur quartier et de leur communauté. Il faut également souligner l’encouragement et le support qu’ils recevaient des membres de leurs quartiers dont plusieurs offraient leur aide et désiraient à un titre ou à un autre apporter leur collaboration. C’est là un exemple entre mille qui prouve que vraiment la culture favorise le dépassement de soi et la cohésion sociale. Les témoignages les plus touchants que j’ai eus cependant viennent des prisons où mon bureau a fait instaurer des ateliers d’écriture, de peinture et de théâtre aux bénéfices des détenus afin de faciliter leur réinsertion sociale et leur fournir un moyen de subsistance à leur libération. Le projet de réhabilitation sociale dans les centres carcéraux consiste à regrouper des artisans détenus dans un espace multi création en leur fournissant les outils adéquats afin de leur permettre de créer librement. L’idéal c’est de faire des prisons haïtiennes de vrais centres de culture, créateurs de richesses. Le facteur critique de ce projet, ainsi que de tous ceux dont j’ai parlé, tient à l’efficacité de l’encadrement marketing et de l’efficacité des campagnes de communication, qui sont toutes basés sur les traits culturels et linguistiques les plus fondamentaux du peuple Haïtien. La nouvelle campagne pour l’alphabétisation que mon bureau coordonne entre dans le même modèle basé sur une approche participative et le respect des atouts culturels et linguistiques des participants. Haïti ne saurait se développer sans l’adoption de nouveaux paradigmes, sans d’importants changements au niveau des façons de penser et de faire. Mais ces changements ne pourront se réaliser que dans la mesure où les approches pour y parvenir respectent totalement les valeurs fondamentales de la culture haïtienne. Si j’ai pris le temps de relater ces quelques projets prometteurs, c’est pour vous crier ma foi en la nouvelle approche prônée par l’UNESCO. Grâce à elle, Haïti et le monde en développement sont beaucoup plus près de résoudre le problème de la faim et de la pauvreté dans la mesure où cette option reçoit toute l’attention, l’encadrement et les fonds qu’elle nécessite. Je demeure convaincue qu’avec le climat social qui s’assainit au fur et à mesure, ces projets contribueront grandement à créer les conditions propices à la réalisation du miracle haïtien qui doit hausser le pays au rang des nations émergentes à l’horizon des années 2030. Conclusion Il est à déplorer que les bailleurs de fonds et les États se montrent souvent réticents à investir dans des campagnes de communication assurant la promotion de la culture d’Haïti et la promotion de sa langue nationale (le créole). Cette tendance nuit au développement, car on ne saurait aider une communauté à se développer alors que l’on nie sa culture et sa langue. Combien d’organismes internationaux envoient en Haïti des missions composées d’“experts” qui ignorent le B-A-BA de la culture et des langues d’Haïti. A ce chapitre, l’aide internationale devait se réorienter. Beaucoup trop d’organismes qui y œuvrent pensent encore pouvoir imposer leur propre modèle de développement. J’espère par mon intervention avoir démontré que de telles façons de faire sont irrémédiablement vouées à l’échec, car l’homme et la femme ont autant besoin d’art et de poésie que d’oxygène pour vivre et s’épanouir. Le développement est un processus beaucoup trop complexe et ardu pour se passer de la culture et de la langue qui tous deux s’avèrent être des leviers indispensables de développement économique, social et territorial. Aussi, pour que les progrès enregistrés par l’Administration Martelly et le gouvernement Lamothe se poursuivent et se généralisent jusqu’à faire d’Haïti un pays où la pauvreté extrême est vaincue, certaines approches et mesures devraient être encouragées et supportées :
Je vous remercie de votre attention. » Lire aussi : https://www.haitilibre.com/article-10691-haiti-social-les-marcheurs-pour-la-paix-sont-arrives-a-port-au-prince.html https://www.haitilibre.com/article-9401-haiti-culture-deux-siecles-de-solidarite-entre-haiti-et-le-venezuela.html https://www.haitilibre.com/article-8432-haiti-culture-de-jeunes-artistes-peignent-les-portraits-des-presidents-et-des-chanceliers.html https://www.haitilibre.com/article-10731-haiti-social-des-artistes-recompenses-dans-le-cadre-d-un-concours-de-fresques-murales.html https://www.haitilibre.com/article-4457-haiti-culture-deuxieme-edition-de-la-ghetto-biennale.html HL/ HaïtiLibre
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